par Patrick Arnoux
C’est prouvé, l'apprentissage est l’une des meilleures clés pour intégrer le marché du travail. Cette “voie d’excellence” permet à près de sept apprentis sur dix de décrocher un contrat de travail. À ceci près que cette voie est de moins en moins empruntée. Dénigrée, critiquée et mal considérée comme un ghetto dédié aux échecs, selon une perception assez consensuelle parmi les employeurs, professeurs, orienteurs et élèves. Des sommes considérables ont été dépensées pour le développer. En vain. Car c’est dans les esprits qu’il faut le revaloriser, en faisant la démonstration de l’efficacité de ces filières d’excellence. L'apprentissage est actuellement en panne de modèle pour alimenter les jeunes imaginaires qui ont tant de mal à se projeter dans le maquis dématérialisé des métiers. L’enjeu des négociations des partenaires sociaux est limpide, tant est complexe cette machinerie de l’alternance : simplifier, inventer une nouvelle gouvernance et surtout lever tant de méfiance.
L'apprentissage est non seulement l’une des meilleures méthodes pédagogiques pour transférer savoirs, savoirs-faire et connaissance, mais sans doute aussi le meilleur levier d’insertion des jeunes dans le monde du travail. Et pourtant, mal considéré, avec son organisation complexifiée, sa gouvernance dissuasive, l’apprentissage, version française (moins de 2,5 % des salariés) est encore en recul. Contrairement à ce qui se pratique en Allemagne ou en Australie (4,2 % des salariés) où cette formation par l’alternance est la meilleure des préparations pour l’employabilité des jeunes. Les contre-performances sont pointées depuis des lunes dans l’Hexagone. Un échec majeur. Ainsi, dans une note pour le think tank Terra Nova, l’expert Jean-Jacques Arrighi démontre que l’apprentissage s’est développé en France sur les segments de la jeunesse les moins menacés par le chômage, laissant les jeunes non diplômés dans une situation inquiétante.
Combien de réquisitoires sensés ont tenté le diagnostic. Combien de rapports documentés ont poussé leurs solutions. Combien de plans sont partis à l’assaut de ces chimériques insertions. Pourtant, l’apprentissage continue à se dégrader – en image et en réalité. Mais au risque d’être schématique autant que caricatural, le mal majeur peut se résumer en un mot.
Méfiance généralisée
En France, l'apprentissage est marqué par une méfiance généralisée à tous les étages. Pire, elle va croissante, compte tenu de la dynamique des interactions entre ces différentes méfiances ! Méfiance de l’Éducation nationale vis-à-vis des entreprises, donc formations peu adaptées. Méfiance des enseignants et des parents vis-à-vis de filières jugées peu valorisantes. Méfiance des élèves du fait du manque d’information sur la réalité des métiers et les manières d’y accéder. Méfiance des entreprises vis-à-vis d’une administration sourcilleuse et si bureaucratique. Sans oublier, sur le terrain, de si robustes méfiances – pour rester dans l’euphémisme – entre les CFA (Centres de formations des apprentis) et les lycées professionnels. Il va donc falloir en abattre des murs, faire muter des mentalités, abolir des préjugés, contrarier des idées toutes faites dans les têtes, bref s’attaquer au plus dur. Une remise à plat sans trop de concession ni compromis.
Gouvernance baroque
Il y a tant d’acteurs qui s’intéressent à lui, tant de parties prenantes concernées – l’Éducation nationale, les régions, les chambres de commerce, l’État, les organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage (Octa), les partenaires sociaux, les branches, les entreprises – qui ne parviennent pas à se coordonner, que la gouvernance de l’ensemble relève du baroque. Il faut donc tout rénover. Éviter par exemple ces deux années pour certifier un nouveau cursus. Contrer le sous-développement dans les grands groupes. Bref multiplier les angles d’attaque. En s’attaquant bien évidemment aux prérogatives des uns et des autres.
C’est justement le chantier initié début octobre par Emmanuel Macron, qui témoigne d’une conscience aiguë de la situation pour travailler à une revalorisation de l'apprentissage. Il estime en effet que ce mode d’enseignement est dévalorisé à tort. En Corrèze, à Égletons, le président de la République a appelé à “arrêter avec le défaitisme français. Avec ceux qui disent que l’apprentissage, c’est pour ceux qui ne réussissent pas. Les filières d'apprentissage et d’alternance sont des filières d’excellence (…) Il existe des a priori, parfois de la part des enseignants. Parfois des conseillers d’orientation. Souvent des familles. Il faut sortir de l’idée que les métiers pour lesquels on doit passer par l’alternance sont des sous-métiers”. Et donc cette réforme va “nécessiter plein de petites révolutions structurelles et organisationnelles”.
Une révolution copernicienne
Tandis que la ministre du Travail, qui évoque les enjeux d’une “révolution copernicienne”, explique que pour lutter efficacement contre le chômage des jeunes, le gouvernement veut “développer massivement” l’offre d'apprentissage des entreprises en direction des moins de 25 ans. “Notre objectif est de changer l’image de l’apprentissage et de le transformer en profondeur, de changer d’échelle et d’en faire une voie d’excellence et de réussite pour tous les jeunes”, expliquait ces jours-ci Muriel Pénicaud. Dénonçant au passage “une trentaine de freins”. Notamment l’impossibilité d’entrer dans le dispositif en cours d’année, la lenteur pour créer ou rénover une formation, le manque de passerelles lorsqu’un jeune rompt son contrat en cours d’année.
Les entreprises davantage mobilisées
Pour lever ces blocages, la ministre du Travail souhaite plus précisément que “les entreprises s’engagent davantage dans la co-construction des diplômes” et qu’elles puissent “davantage piloter les centres de formation en fonction de leurs besoins”.
Dans un grand souci de simplification, d’entente et de “réunification”, la ministre de l’Éducation imagine déjà des “campus” uniques regroupant lycées professionnels, centres de formation des apprentis, universités et laboratoires de recherche, pour “dépasser des clivages qui n’ont pas lieu d’être” entre l’enseignement scolaire et l'apprentissage.
Rendez-vous début février
Concrètement donc, Muriel Pénicaud a lancé le 10 novembre les premières concertations avec les partenaires sociaux, qui vont se dérouler jusqu’en janvier 2018. Avec des objectifs suffisamment vastes pour susciter le consensus : “Le système d’apprentissage doit s’adapter aux aspirations des jeunes et aux besoins des entreprises”. Grâce aux travaux de quatre commissions réunies sous l’égide de Sylvie Brunet, présidente de la section du travail et de l’emploi du CESE (Conseil économique, social et environnemental) qui rendra son rapport en février prochain : Parcours de l’apprenti ; Apprentissage en entreprise ; Financement de l’apprentissage ; Offre de formation et de certification.
Le 15 novembre s’est déroulée la deuxième réunion plénière de la concertation apprentissage, après le lancement au ministère du Travail la semaine précédente. Vont-ils s’attaquer aux vrais maux ? Braver les blocages quasi idéologiques pour redonner attraits et efficacité à cette filière de formation professionnelle ? Il faudra en quelques semaines lever quatre obstacles majeurs.
1/ Mettre un terme à la rivalité lycées professionnelle/centre de formation des apprentis, alimentée d’un côté par les programmes scolaires pilotés par l’Éducation nationale, et de l’autre par la filière de l’apprentissage relevant de la compétence des conseils régionaux. Avec la volonté des recteurs de préserver la fréquentation des lycées professionnels, pendant que les régions souhaitent faire croître l’apprentissage.
2/ Améliorer l’information sur ce mode pédagogique et l’évolution des métiers. 53 % des jeunes de 15-24 ans seraient prêts à suivre une formation en apprentissage. Antoine Frérot, PDG de Veolia et président de l’Institut de l’entreprise, qui a récemment publié un rapport sur le sujet, souhaite rendre l’apprentissage attractif pour les jeunes en améliorant l’information sur les métiers – les jeunes citent spontanément 25 métiers quand l’Institut de l’entreprise en a recensé 11 000 – et en donnant plus de relief à l’apprentissage, en créant par exemple un concours général dans les matières de l’apprentissage.
Mais les conseillers en orientation – souvent sous-informés – dissuadent souvent les potentiels candidats. Méfiance encore. Par ignorance. Les dispositifs de l’apprentissage sont souvent méconnus des enseignants de collège, et parfois des conseillers d’orientation. Les meilleurs élèves seront ainsi découragés d’aller suivre l’un de ces cursus.
3/ Remédier à l’insuffisance des préparations à l’apprentissage. Il est prévu de “développer les périodes de pré-apprentissage et les filières en alternance dans tous les lycées professionnels”. Ce n’est pas un luxe, juste une nécessité. En effet, il s’agit d’un chemin des plus exigeants en termes de maturité, de savoir-être et de connaissances de base (mathématiques, littéraire…). Or la plupart des 15-17 ans en cours de scolarité ou en décrochage scolaire ne sont prêts au débarquement dans la vie active. Il faut donc en priorité lever ses barrières à l’entrée.
4/ Multiplier les passerelles facilitant le passage des élèves des filières scolaires classiques à celles de l’alternance. Ainsi, des filières en alternance dans les lycées professionnels pourraient jouer le rôle de pré-apprentissage afin de préparer les futurs apprentis. Bref remplacer la rivalité/concurrence d’hier par la coopération, demain.
Reste alors à déblayer des préjugés et des tabous, les pistes d’une réforme ambitieuse dont on connaît d’ores et déjà l’esprit. Rendre beaucoup plus intimes les connexions entre les besoins du marché du travail et les compétences des jeunes en voie de formation. Ce qui suppose en filigrane un rôle accru des branches professionnelles dans le pilotage de cette machinerie éducative à la gouvernance improbable. Ce qui est largement inspiré des recommandations du Medef. Le patronat revendique en effet la fabrication de diplômes et de certifications par les branches. Ce qui ne laisse pas insensible Emmanuel Macron : “les branches doivent définir la maquette pédagogique avec l’Éducation nationale et définir les critères nécessaires en termes d’organisation”.
Ce qui a immédiatement provoqué l’ire des régions qui veulent garder la main sur l’ensemble. Prochaine étape décisive au début de l’année prochaine, tous les intervenants partageant déjà le même objectif : faire chuter drastiquement le chômage des jeunes. Comme le constate sous forme de conseil Muriel Pénicaud : “En France, seuls 7 % des 18-25 ans sont en apprentissage. Tous les pays qui ont vaincu le chômage de masse affichent un taux de 15 %, voire 20 %. Il faut changer notre paire de lunette”.
8,2 Mds € : le coût global de l'apprentissage en 2015 (y compris rémunération des apprentis) dont 1,6 pour les régions, 1,9 pour l’État, 2,6 pour les entreprises employeurs et 1,1 pour les entreprises assujetties.
19 000 € : le coût annuel d’un apprenti (y compris sa rémunération).
995 CFA en France répartis sur 3 057 sites proposant 2 732 formations différentes.
Difficile donc de se faire entendre quand on ne prône pas "l'excellence" de l'apprentissage...Surtout si l'on ajoute les 28 % de ruptures de contrat, les 47 % de non emploi pour les apprentis niveau CAP, les entreprises qui ne recrutent pas quand il y a 5 millions de chômeurs, les sections porteuses d'emploi que l'on en a fermé en LP...Mais votre silence prouve que l'on a raison de continuer à dire les choses.
Bravo pour "la neutralité" de ce texte...Encore une âme pure qui ne pense qu'à l'intérêt des jeunes et du pays...Si les patrons sont réticents, ce n'est qu'à cause de la bureaucratie, aucunement de leur fait !!! Alors enlevons toutes les indemnités que perçoivent tous ceux qui utilisent l'apprentissage, comme en Allemagne où c'est le patronat qui finance toute la formation. En France ce sont nos impôts qui financent l'embauche d'un apprenti ; elle est pas belle la vie. Si c'est l'excellence, soyons humaniste et pas cupides.Et vous oubliez magistralement les 700.000 élèves des Lycées professionnels...Une question seulement: est-ce que ne serait pas l'apprentissage qui les concurrence ??? Mais avec l'apprentissage et la formation pro, il y a 34 milliards en jeu...Une paille et des milliers de désintéressés...