Il était naguère assez facile de donner l’impression qu’on avait réussi. Il suffisait en gros de se vanter de travailler dur. Si quelqu’un vous demandait comment vous alliez, vous soupiriez et répondiez, avec un soupçon de réticence : “un peu fatigué en fait, je suis débordé”. Cela ne suffit plus. Pour réussir vraiment dans le monde d’aujourd’hui, vous devez être vraiment épuisé par l’accumulation des heures passées à repousser la mort.
Un marché florissant pour cadres moyens
Finir la vantardise sur le total de vos miles aériens. Le yoga, le jeûne, la musculation et la glycémie sont en train de devenir des sujets de conversation incontournables pour tout cadre moyen ambitieux. Les plus riches peuvent se vanter de leur thérapie à l’ozone, de leurs chambres hyperbares et de leurs tests génétiques. Dans l’ensemble, c’est positif. En matière de marqueur de statut social, la quête de la longévité est bien plus bénéfique qu’une Lamborghini. Mais la pression pour suivre le rythme peut avoir de regrettables effets secondaires.
“En matière de marqueur de statut social, la quête de la longévité est bien plus bénéfique qu’une Lamborghini”
J’écris ces lignes alors que j’arrive à peine à marcher parce que j’ai ignoré une blessure faite au tennis il y a quelques semaines et que je l’ai aggravée en courant. Mes 10 000 pas par jour se sont réduits à une dizaine. J’aimerais me remonter le moral avec du chocolat, mais j’ai arrêté pour réduire ma consommation de sucre. En conséquence, je me suis documenté sur le “burn-out du bien-être”. Une enquête menée dans plus d’une douzaine de pays par le fabricant de vêtements Lululemon a conclu que la “recherche incessante du bien-être” pourrait rendre les gens “moins bien”, en partie parce qu’ils sont stressés par tous les conseils contradictoires.
L’industrie mondiale du bien-être est en plein essor, avec une part de marché plus importante que le tourisme ou l’informatique (en partie parce qu’elle inclut les cosmétiques), selon l’organisation à but non lucratif Global Wellness Institute. Les Britanniques aisés ont augmenté d’un cinquième leurs dépenses en matière de santé et de bien-être depuis la pandémie, selon le groupe d’assurance maladie Bupa. Le défi consiste à distinguer le bon grain de l’ivraie. L’achat d’applications d’“entraînement cérébral” est le plus souvent de l’argent gaspillé ; seules quelques-unes fonctionnent réellement. Pratiquer le jeûne extrême ou se faire injecter du “sang jeune” comporte des risques plus graves.
La course au bien-être et ses dérives
J’ai récemment été invitée à séjourner gratuitement dans un nouveau spa bien-être en Europe qui proposait des traitements expérimentaux, comme le bain dans du plasma froid. Ma conversation avec le “médecin” résident n’était pas rassurante et j’ai refusé. Mais les prix étaient exorbitants. De toute évidence, il existe un marché à conquérir dans la course à la longévité, même si (et peut-être surtout si) les traitements n’ont pas encore fait l’objet d’une évaluation par les pairs. Il s’agit de prendre l’avantage, et c’est là que le problème se pose.
“De toute évidence, il existe un marché à conquérir dans la course à la longévité, même si (et peut-être surtout si) les traitements n’ont pas encore fait l’objet d’une évaluation par les pairs”
Faire de la santé une compétition peut être bénéfique. Il est prouvé que l’exercice aérobie, par exemple, est essentiel pour bien vieillir. Mais cet effort peut se retourner contre vous. J’ai vu un chirurgien spécialiste de la colonne vertébrale qui prétend avoir pu inscrire ses deux enfants dans des écoles privées grâce à des patients qui avaient utilisé des kettlebells [sortes d’haltères utilisées pour renforcer le gainage, ndt] avec trop d’enthousiasme. Un physiothérapeute de ma connaissance signale une augmentation du nombre de clients qui se sont blessés en faisant du yoga. Une amie d’une cinquantaine d’années a fini rompue parce qu’elle n’a pas voulu paraître faible lorsqu’un entraîneur de gym deux fois plus jeune qu’elle a insisté pour qu’elle utilise des poids trop lourds.
Le symbole ultime de la bêtise compétitive est la “mule Strava” [du nom d’un réseau social enregistrant les performances sportives de ses utilisateurs, ndt], payé pour courir ou faire du vélo en portant votre montre connectée afin d’augmenter votre score. Certaines “mules” prétendent avoir porté les téléphones et les appareils de plusieurs clients à la fois. C’est un jeu qui ne profite qu’à l’un des participants – pas à celui qui a menti sur son score.
Soyez votre propre cobaye à vos risques et périls
La quête de longévité alimente ce qui s’apparente à une série d’expériences non validées que nous menons sur notre propre personne. Comme les diagnostics sont désormais, dans certains cas, plus sophistiqués que les traitements, mais que les régulateurs rechignent encore à évaluer des thérapies susceptibles de traiter le vieillissement de l’organisme dans son ensemble, de plus en plus de gens prennent des microdoses de champignons magiques ou achètent en ligne des produits tels que la coenzyme NAD [qui intervient dans la réparation cellulaire, ndt] ou la metformine, un antidiabétique. Ce marché fonctionne comme une sorte de banc d’essai parallèle, à nos propres risques et périls.
“Comme les régulateurs rechignent encore à évaluer des thérapies susceptibles de traiter le vieillissement de l’organisme. Ce marché fonctionne comme une sorte de banc d’essai parallèle, à nos propres risques et périls”
Il existe cependant une différence entre les compléments alimentaires en ligne ou les traitements personnalisés délivrés aux riches par de coûteux cliniciens personnels, et les soins dispensés dans les spa, dont la sécurité et l’efficacité ne sont pas garanties par le simple fait qu’ils figurent dans le menu. La cryothérapie corporelle intégrale (“whole-body cryotherapy”, ou WBC), qui consiste à soumettre le corps à des températures inférieures à zéro pendant quelques minutes, est désormais disponible dans toutes sortes de spas. Elle a été utilisée en milieu médical pour traiter les douleurs chroniques. Mais les dermatologues préviennent qu’elle peut provoquer des œdèmes – et la Food and Drug Administration, organisme de surveillance américain, affirme que ses “bienfaits pour la santé ne sont pas confirmés”.
“Plus on ouvre de nouveaux spas de cryothérapie corporelle, relève l’American Academy of Dermatology Association, plus la liste des bienfaits de la cryothérapie corporelle semble s’allonger.” Pendant ce temps, les experts préviennent que les “party drips” [des perfusions de vitamines et de minéraux, ndt] et les injections de vitamines et de composés brûleurs de graisse risquent de sursolliciter le foie et les reins. En 2018, elles ont été accusées d’avoir conduit le mannequin Kendall Jenner à l’hôpital. Mais l’incident n’a pas empêché les spas de les proposer, ni les entreprises aux États-Unis et au Royaume-Uni de les livrer à domicile.
Quelques principes simples pour les moins riches
Le coût élevé de nombre de ces traitements peut accroître leur potentiel de forfanterie, mais le prix n’est pas toujours synonyme de qualité. De nombreux moyens éprouvés de réduire le risque de certaines maladies et de mieux vieillir sont assez simples et relativement bon marché. Vous pourriez payer une clinique pour rechercher des biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer. Ou réduire votre consommation d’alcool, augmenter votre activité physique et manger beaucoup de légumes et de poissons gras – ce que la médecine recommanderait sans doute de toute façon.
“Mieux vaut se concentrer sur les bases éprouvées : manger moins d’aliments transformés, sortir au grand air, faire de l’exercice régulièrement et entretenir des amitiés solides”
Si se repérer au milieu de toutes ces modes est devenu trop stressant, mieux vaut se concentrer sur les bases éprouvées : manger moins d’aliments transformés, sortir au grand air, faire de l’exercice régulièrement et entretenir des amitiés solides. Ces méthodes ne sont pas réservées qu’aux nantis. Mais se culpabiliser de ne pas avoir un corps de milliardaire ou tricher sur ses scores Strava n’est peut-être pas non plus une recette pour améliorer quoi que ce soit.
© The Financial Times Limited [2025]. All Rights Reserved. Not to be redistributed, copied or modified in anyway. Le nouvel Economiste is solely responsible for providing this translated content and the Financial Times Limited does not accept any liability for the accuracy or quality of the translation.