Libre opinion
par Anas Abdoun*
Crise avec le Mali, désaccord stratégique avec Moscou, effacement face au Maroc : la diplomatie algérienne traverse une phase de reflux dont le Sahel est le miroir le plus brutal. Le temps du leadership semble derrière elle.
Le Sahel, longtemps perçu comme l’arrière-cour stratégique de l’Algérie, devient aujourd’hui le théâtre de sa marginalisation diplomatique. Historiquement influente dans la région, Alger portait une doctrine de sécurité fondée sur la stabilité aux frontières et l’intégration politique des Touaregs, qu’elle considère comme une condition sine qua non à la paix durable. Mais les coups d’État successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger ont installé au pouvoir des régimes militaires qui non seulement rejettent cette approche, mais perçoivent les Touaregs comme des éléments subversifs. Une divergence profonde, devenue le cœur de la fracture entre Alger et ses voisins sahéliens.
La Russie change d’alliés
Cette rupture a connu un tournant critique en octobre 2023, lorsque l’armée algérienne a abattu un drone malien en territoire contesté. Depuis, la dégradation est ouverte et assumée. Là où l’Algérie cherchait à peser sur les processus politiques, elle est désormais tenue à l’écart.
“La Russie, partenaire historique et pilier de la doctrine sécuritaire algérienne, soutient aujourd’hui activement les régimes militaires sahéliens par l’entremise du groupe Wagner”
Plus grave encore : cette perte de contrôle sahélien a fragilisé le socle de sa politique étrangère. La Russie, partenaire historique et pilier de la doctrine sécuritaire algérienne, a pris une orientation radicalement différente. Moscou soutient aujourd’hui activement les régimes militaires sahéliens par l’entremise du groupe Wagner. Ce soutien ne relève pas d’un simple opportunisme : depuis la perte de son ancrage stratégique en Syrie, la Russie a fait du Sahel sa nouvelle base de projection africaine. Le désaccord est donc fondamental. Pour Alger, préserver l’équilibre ethnique au Sahel est vital pour contenir les tensions internes. Pour Moscou, asseoir l’autorité des régimes putschistes est un impératif d’influence et de sécurisation de ses intérêts miniers.
Le Maroc place ses billes
Ce réalignement a ouvert un boulevard à son rival régional : le Maroc. Discret mais efficace, Rabat avance ses pions. De nombreux officiers sahéliens aujourd’hui au pouvoir ont été formés à l’Académie royale militaire de Meknès. Sur le plan diplomatique, le Royaume est perçu comme un relais crédible, aussi bien par Washington que par Paris. L’Initiative Atlantique, portée par le Maroc, séduit les capitales sahéliennes : elle promet un accès structuré aux échanges mondiaux via le futur port de Dakhla. Dernier symbole en date : la réception, fin avril, par le roi Mohammed VI des ministres des Affaires étrangères du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Un geste fort, qui actait silencieusement le glissement d’influence au sein de la région.
“Sur le plan diplomatique, le Royaume est perçu comme un relais crédible, aussi bien par Washington que par Paris”
Loin d’un simple enchaînement d’incidents diplomatiques, le Sahel révèle ainsi une recomposition plus profonde. La perte de leadership algérien se joue à quatre niveaux : perte d’influence dans sa profondeur stratégique, désalignement avec un allié historique, montée en puissance d’un rival régional, et perte de crédibilité sur la scène internationale. Alors que l’ordre sahélien se redessine, la diplomatie algérienne semble chercher encore la boussole d’un nouveau cap.
*Anas Abdoun est consultant en énergie et affaires internationales
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