Trump power 2,
Anne Toulouse
Il y a une expression couramment utilisée aux États-Unis avec laquelle il faut se familiariser : “due process”. Elle figure dans le 5e et 14e amendement de la Constitution américaine, pour indiquer que toute personne doit bénéficier d’une procédure en bonne et due forme, autrement dit de la pleine protection que lui accorde la loi. C’est en ce moment la grande affaire politique : Donald Trump a-t-il dans plusieurs domaines outrepassé ces limites ?
Comme beaucoup de grandes controverses, celle-ci est née d’un épisode banal. Un immigrant illégal salvadorien, Kilmar Abrego Garcia, a été expulsé des États-Unis vers une prison de son pays d’origine, avec un groupe de membres du redoutable gang MS-13. Le gouvernement a reconnu qu’il avait été inclus à la suite d’une erreur administrative, qu’il se refuse néanmoins à rectifier. Il s’est avéré qu’il n’était pas un cas de conduite exemplaire, dans la mesure où l’épouse américaine qui demande son retour avait porté plainte pour violence conjugale. Mais, comme le soulignent les parlementaires démocrates qui se sont impliqués dans sa défense, il ne s’agit pas de l’homme mais du principe. Un principe qui pourrait aboutir à une éventualité que j’évoquais dans une chronique précédente : une crise constitutionnelle.
“La Cour suprême des États-Unis est intervenue à deux reprises depuis le début du mois pour rappeler au gouvernement le respect des actions de justice”
La Cour suprême des États-Unis est en effet intervenue à deux reprises depuis le début du mois pour rappeler au gouvernement le respect des actions de justice. Elle a demandé que l’exécutif facilite le retour d’Abrego Garcia, puis ordonné le report d’une série d’expulsions d’un autre convoi de présumés gangsters. La Cour suprême ne conteste pas le droit du gouvernement d’expulser des personnes indésirables, mais le fait que cela soit opéré sans passer devant un juge : “due process”.
Donald Trump justifie la légalité de ses actions par l’“Alien Act”, une loi remontant à 1798 qui accorde à l’exécutif le droit d’expulser “tout étranger que le président jugera dangereux pour la paix et la sécurité des États-Unis”. Ce qui est peu connu, c’est que le président John Adams, a pris cette mesure dans le seul but de se débarrasser… des Français. À l’époque, beaucoup d’entre eux avaient émigré aux États-Unis et s’agitaient pour que le nouveau pays renvoie l’ascenseur à la France en l’aidant dans la guerre qu’elle menait contre les puissances alliées. Les États-Unis n’en avaient nullement l’intention, dans la mesure où l’une des premières mesures du président précédent, George Washington, avait été de faire voter “l’Acte de neutralité” qui dit explicitement qu’il faut laisser les Européens vider leurs querelles entre eux. Comme on le voit, le lointain successeur des deux premiers présidents n’a rien inventé !
Le président de la Réserve fédérale dans le viseur
La Cour suprême va également peser sur une autre tentative de Donald Trump de court-circuiter les usages visant le président de la Réserve Fédérale, Jerome Powell. Donald Trump ne cache pas son mécontentement de voir ses appels à une baisse des taux d’intérêt ignorés. Or, l’institution couramment désignée par son acronyme, la FED, a bénéficié depuis sa création en 1913 du statut d’agence indépendante. Ses dirigeants ne peuvent être démis que pour faute professionnelle, et la Maison-Blanche explore ouvertement cette voie.
“La FED, a bénéficié depuis sa création du statut d’agence indépendante. Ses dirigeants ne peuvent être démis que pour faute professionnelle, et la Maison-Blanche explore ouvertement cette voie”
Les commentaires de Donald Trump essaient de transférer le mécontentement suscité par l’inflation sur Jerome Powell et l’accusent de politiser ses décisions. Cela pourrait donner lieu à une longue bataille juridique, qui devrait s’étendre à tous les responsables de la FED ayant fait partie du processus de décision. Bref, ce n’est pas gagné ! Une autre tactique de sape consisterait à nommer par anticipation un successeur “fantôme”, dont les recommandations planeraient sur toutes les décisions du président en place. Les marchés ont déjà répondu à ces éventuelles stratégies en plongeant au lendemain du week-end de Pâques. La perspective la plus favorable pour Donald Trump serait que la Cour suprême, qui doit statuer au début du mois prochain sur le pouvoir du président sur les institutions gouvernementales indépendantes, tranche en faveur de l’exécutif. Bref, il y a dans tous les cas du “due process” dans l’air.