La marque de lingerie la plus célèbre au monde lave son linge sale en public. Dans une lettre ouverte à Victoria’s Secret publiée le 16 juin, Barington Capital, un investisseur activiste, a déclaré à Donna James, la présidente de la marque, que l’entreprise manquait à ses obligations envers ses actionnaires. Hillary Super, directrice générale depuis août, n’a pas “gagné la confiance des employés”.
Barington, qui ne détient qu’une participation de 1 %, n’est pas le seul activiste à tourner autour de l’entreprise. BBRC International, qui détient plus d’un dixième des actions du vendeur de sous-vêtements, a dénoncé les décisions “désastreuses” du conseil d’administration et exigé un changement de direction. La direction de la marque campe quant à elle sur ses positions et cherche à conserver le contrôle grâce à une clause dite “pilule empoisonnée” : elle diluera les actions des actionnaires si l’un d’entre eux acquiert plus de 15 % du capital.
Résultats en chute libre
Pourtant, les critiques ont raison. Au cours de la dernière décennie, Victoria’s Secret a perdu beaucoup de son éclat. L’année dernière, son chiffre d’affaires a atteint 6,2 milliards de dollars [5,3 milliards d’euros], contre un pic de 7,8 milliards [6,7 milliards d’euros] en 2016.
“L’année dernière, son chiffre d’affaires a atteint 6,2 milliards de dollars contre un pic de 7,8 milliards [6,7 milliards d’euros] en 2016”
Sa valorisation boursière, qui s’élève à 1,5 milliard de dollars [1,3 milliard d’euros], a chuté de plus de moitié depuis sa scission de L Brands, sa société mère, en 2021. De nouveaux concurrents, tels que Skims, une entreprise de vêtements cofondée par Kim Kardashian, lui ont ravi des parts de marché. Hillary Super est la troisième CEO nommée en quatre ans pour redresser la société en difficulté.
Un gros problème d’image
Dans les années 2010, Victoria’s Secret, fondée il y a un demi-siècle comme un endroit où les hommes pouvaient acheter des sous-vêtements pour leurs femmes et leurs petites amies, est devenue pour ses détracteurs le symbole de tout ce qui ne va pas dans l’industrie de la mode. À son apogée, des millions de personnes regardaient des mannequins pâles, très maigres et vêtues de plumes (les “Victoria’s Secret Angels”) sur le podium de son défilé annuel. Encouragées par le mouvement #MeToo, ces mêmes anges ont ensuite raconté des histoires sordides d’affamement et d’abus. Le public avait déjà commencé à se détourner lorsque, en 2018, l’organisateur du défilé a déclaré aux journalistes qu’il n’engagerait jamais de mannequins transgenres ou obèses. Il s’est excusé. L’événement a été annulé l’année suivante.
“Le public avait déjà commencé à se détourner lorsque, en 2018, l’organisateur du défilé a déclaré aux journalistes qu’il n’engagerait jamais de mannequins transgenres ou obèses”
Depuis, Victoria’s Secret s’efforce de redéfinir son image. Les magasins vendent des pyjamas confortables ainsi que des soutiens-gorge push-up sophistiqués. Le défilé a fait son retour l’année dernière, mais il met désormais en scène des mannequins qui ne sont plus aussi minces, pâles ou féminines.
Mais cette transformation n’a pas permis à l’entreprise de renouer avec la croissance. Les militants qui harcèlent Victoria’s Secret affirment qu’elle devrait revenir à ce qui a fait son succès. Ramenez les anges, écrit Barington, et concentrez-vous sur les soutiens-gorge. Hillary Super, en revanche, souhaite se lancer dans des domaines tels que le fitness.
Des raisons d’espérer
Malgré toutes ses difficultés, l’entreprise reste le premier vendeur mondial de lingerie, aidée en cela par de fréquentes promotions. “Victoria’s Secret est l’un des meilleurs exemples de marque que les gens sont censés détester, mais qu’ils continuent d’acheter”, souligne Simeon Siegel, de la banque d’investissement BMO Capital Markets. Selon lui, augmenter les prix et renoncer aux clients à faible pouvoir d’achat pourrait être la voie du retour au succès.
“Victoria’s Secret est l’un des meilleurs exemples de marque que les gens sont censés détester, mais qu’ils continuent d’acheter”
Mais le plus important pour l’entreprise est de décoder les désirs des jeunes consommateurs, un objectif que Mme Super s’est fixé comme priorité. Des enquêtes suggèrent que la génération Z a moins de relations sexuelles que les générations précédentes. Mais cela ne signifie pas qu’elle ne souhaite pas se sentir sexy, au moins à l’occasion. Sabrina Carpenter, une pop star de 26 ans, a arboré de la lingerie scintillante lors de sa récente tournée à guichets fermés. Ses fans, principalement féminines, l’ont imitée. Victoria’s Secret pourrait bien retrouver son élan.
The Economist
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