“C’est ici que les gens d’aujourd’hui passent leur temps”, explique Bill Preston à Socrate, dans le film ‘L’Excellente Aventure de Bill et Ted’. Mais Bill Preston n’est pas un membre typique du cercle socratique. Le film date de 1988 et la scène se déroule sur un escalator dans un centre commercial. Et il n’est pas surprenant que les créateurs de ce film sur deux lycéens qui transportent des personnages historiques dans leur époque, aient choisi ce décor.
Retour à la vie après la pandémie
Depuis l’ouverture du premier centre commercial entièrement couvert aux États-Unis, dans le Minnesota en 1956, des milliers d’autres ont vu le jour à travers le pays. Les centres commerciaux étaient la nouvelle agora de l’époque, là où le peuple venait manger, faire ses achats, et bien sûr “traîner”.
“La valeur boursière de Simon Property Group, le plus grand propriétaire de centres commerciaux américains, a augmenté de moitié entre le début de 2023 et la fin de 2024, approchant son niveau record”
Aujourd’hui, il en reste environ 900 en activité aux États-Unis. L’essor de l’e-commerce et le déclin des grands magasins, locataires traditionnels de la plupart des centres commerciaux, ont conduit à la fermeture définitive de centaines d’entre eux au cours de la dernière décennie. Parmi ceux-ci, on retrouve le Metrocentre en Arizona qui a accueilli le fameux Socrate en 1988. Les confinements liés à la pandémie ont accéléré la disparition de nombre d’entre eux.
Pourtant, les investisseurs s’intéressent à nouveau à ces temples de la consommation. La valeur boursière de Simon Property Group, le plus grand propriétaire de centres commerciaux américains, a augmenté de moitié entre le début de 2023 et la fin de 2024, approchant son niveau record. La valeur de Macerich, un autre grand opérateur de centres commerciaux, a augmenté de quatre cinquièmes. Comment expliquer ce renouveau, et peut-il durer ?
La catégorie A tire son épingle du jeu
Le milieu des centres commerciaux compte deux types d’acteurs : d’un côté les “nantis” et de l’autre les “démunis”, explique Ronald Kamdem, de la banque Morgan Stanley. Alors que les sites miteux situés dans des lieux peu attractifs ont fermé leurs portes, la fréquentation des centres commerciaux dits “de catégorie A” est revenue à peu près à son niveau d’avant la pandémie. Les propriétaires prospères tels que Simon et Macerich se sont concentrés sur ces sites.
Demande renouvelée et pénurie d’espaces
Les détaillants, quant à eux, ont commencé à reconnaître les limites de l’e-commerce. Les ventes en ligne ne représentent toujours pas plus de 16 % des dépenses totales de consommation aux États-Unis, soit le niveau atteint au deuxième trimestre 2020. De nombreuses marques qui ont lancé leur activité en ligne se tournent désormais vers les magasins physiques. Warby Parker, qui vendait autrefois ses lunettes uniquement sur Internet, espère ouvrir quelque 900 magasins à l’avenir, soit une multiplication par trois de ses points de vente actuels. Et selon le cabinet de conseil Bain, environ quatre cinquièmes des produits de luxe sont encore vendus dans des magasins physiques.
“À environ 4 %, le taux de vacance des commerces de détail aux États-Unis est proche de son plus bas niveau historique”
Pour les propriétaires de centres commerciaux, la pénurie d’espaces commerciaux de premier ordre est un facteur favorable. À environ 4 %, le taux de vacance des commerces de détail aux États-Unis est proche de son plus bas niveau historique. Le secteur de la construction est au ralenti, un problème qui risque de s’aggraver avec les droits de douane imposés par Donald Trump sur des matériaux comme l’acier, et par sa détermination à expulser les travailleurs migrants dont les entreprises dépendent. Il n’est donc pas surprenant que près de la moitié des nouvelles boutiques de luxe aux États-Unis ouvrent leurs portes dans des centres commerciaux haut de gamme.
La cible jeunes
Même les jeunes, inséparables de leurs smartphones, se rendent dans les centres commerciaux, attirés en partie par la promesse d’expériences nouvelles à vivre sur place. Cette année, Netflix devrait ouvrir ses premiers “lieux de divertissement expérientiel” dans deux anciens grands magasins situés dans des centres commerciaux. Ted Sarandos, son CEO, a laissé entendre qu’une cinquantaine d’autres pourraient ouvrir dans les années à venir. Les propriétaires de centres commerciaux espèrent transformer les jeunes d’aujourd’hui en de nouveaux Bills et Teds. L’année dernière, Simon a ainsi lancé une campagne marketing ciblant les acheteurs de la génération Z intitulée “Meet me @themall”.
Des acteurs résistants
Plusieurs défis restent à relever. Le 22 avril, le FMI a revu à la baisse ses prévisions de croissance du PIB américain pour cette année, envoyant de cette manière des signaux négatifs pour le pouvoir d’achat des consommateurs. La valeur des actions de Simon et Macerich a chuté depuis que Donald Trump a lancé sa guerre commerciale le 2 avril. Pourtant, les centres commerciaux pourraient s’avérer plus résistants que lors des précédents ralentissements, estime Vince Tibone, de Green Street, une société d’études immobilières. La pénurie d’espaces commerciaux et le fait que de nombreux locataires fragiles aient déjà fait faillite pendant la pandémie jouent en leur faveur. Il semble donc que de nombreuses autres aventures passionnantes nous attendent encore.
The Economist
© 2025 The Economist Newspaper Limited. All rights reserved. Source The Economist, traduction Le nouvel Economiste, publié sous licence. L’article en version originale : www.economist.com.