Création de valeur

Le débat manichéen dividendes versus investissement

La rémunération des actionnaires, élément-clé de la stratégie économique d’une entreprise. Quoi qu’en disent certains.

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Manque d’agilité, d’audace, de vision... La liste des maux dont souffriraient les entreprises des économies dites matures était déjà longue. Voilà qu’elle vient de s’enrichir d’un nouveau symptôme qui, plus encore que les autres, impacterait leurs performances. Officiellement diagnostiqué par l’économiste américain et dirigeant du fonds Blackrock, Larry Fink, celui-ci se manifesterait par une fâcheuse tendance à favoriser les dividendes au détriment de l’investissement. Autrement dit, selon l’expert, à privilégier la rétribution de l’actionnariat sur le financement de la croissance, au risque de “menacer la capacité de l’entreprise à générer durablement du rendement”. Dit comme cela, il est vrai qu’il y a de quoi s’alarmer. D’autant que, spécifiquement adressé aux entreprises européennes, l’avertissement vaudrait également pour les entreprises américaines, rappelées à l’ordre pour le même motif par le baromètre S&P 500 il y a quelques semaines.

De fait, le constat semble difficile à contester – une étude du cabinet Henderson confirmait il y a quelques mois que, pour la première fois en 2013, plus de 1 000 milliards de dollars de dividendes avaient été versés dans le monde, dont 50 milliards par les seules entreprises françaises. Ce qui l’est davantage, en revanche, c’est la portée d’une telle réalité.

Une question de cycle
Pour certains, en effet, opposer investissement et versement de dividendes ne se justifie pas nécessairement. L’un comme l’autre contribuant, à des niveaux différents, au niveau de performance de l’entreprise, la problématique ne saurait se résumer à une opposition entre “bonne” et “mauvaise” affectation mais porterait plutôt sur une question de cycle de vie économique. D’où la nécessité de nuancer certaines idées reçues.

Gérant de fonds au sein de la financière Champlain, Olivier Ken confirme et revient sur les fondements d’une mécanique essentielle à la vie des entreprises : celle de l’actionnariat et de sa rémunération. Il rappelle ainsi que celui-ci constituant une des sources de financement essentielles des entreprises, il a un coût, tout comme l’emprunt bancaire, “et qu’à chaque action est rattachée une rémunération appelée non pas intérêt mais dividende”. Une rétribution “normale”, donc, accordée en échange du service rendu et de la prise de risque qui l’accompagne mais qui, contrairement à celle de la banque, n’est ni fixe ni contractuelle. Reste donc à savoir à quelle hauteur mais aussi à quel moment la verser. Sur ce plan, rappelle le financier, dégager des bénéfices est une condition nécessaire mais pas suffisante, une entreprise devant, pour être en mesure de verser des dividendes sans hypothéquer ses perspectives de croissance, se trouver “sur un cycle plat”.

Et non en phase de croissance comme le sont généralement les sociétés “technos” qui, pour croître aussi vite que leur marché, doivent réinvestir la quasi-totalité de leurs revenus dans leur développement. Lorsque, à l’inverse, une entreprise dégage des bénéfices sur un secteur mature, autrement dit sur un marché ne présentant pas d’opportunité de croissance immédiate - comme c’est le cas des secteurs bancaires, alimentaires, de la grande distribution ou encore des utilities (comme l’électricité) – il devient pour elle “non seulement normal mais aussi nécessaire de rémunérer l’actionnaire”.

Circuit de financement
Deux raisons à cela. La première, évidente, tient au fait qu’un actionnaire insatisfait risque tout simplement de retirer sa mise, privant ainsi l’entreprise d’une de ses sources de financement et donc, d’un futur levier de croissance, explique Olivier Ken qui résume : “Le recours aux actionnaires est nécessaire pour alimenter le circuit de financement, c’est ce qui permet aux entreprises d’investir et de créer de la valeur en générant de la croissance.” Mécanique d’autant plus cruciale à préserver qu’elle intervient dans un contexte de crise au sein duquel les banques accordent moins facilement leur financement.

D’où la dimension stratégique de l’action et la volonté des entreprises de la préserver en la rémunérant dès lors, on l’aura compris, qu’elles en ont les moyens financiers et stratégiques. “L’investissement comme le versement de dividendes aux actionnaires contribuent à la croissance des entreprises”, insiste Olivier Ken pour qui le fait de favoriser l’un ou l’autre dépend du cycle de vie de l’entreprise – du fait qu’elle soit en phase de croissance, et donc tenue d’accroître son périmètre en recrutant, en procédant à des acquisitions ou en lançant de nouvelles lignes de produits, ou non - et de la maturité du secteur sur lequel elle est implantée.

“Sans événements ou perspective de croissance particulière, le niveau de dividende reste généralement élevé”, conclut celui qui voit dans le cas d’Apple l’illustration parfaite de cette notion de cycle, la société ayant, durant plusieurs années, investi l’essentiel de ses revenus en R&D et en gains de parts de marché jusqu’à ce que cette stratégie génère suffisamment de croissance pour lui permettre de verser des dividendes importants à ses actionnaires.

L’appréciation boursière
Autre raison faisant de la rémunération des actionnaires un élément de stratégie économique à part entière : le fait que les dividendes versés contribuent à la valorisation de l’entreprise. Là encore, Olivier Ken rappelle les fondamentaux et notamment le fait qu’il existe deux sources de financement sur les actions : les dividendes et l’appréciation boursière, laquelle dépend de l’évolution du cours de Bourse. Or, “à activité et performance équivalentes, une entreprise qui verse d’importants dividendes apparaîtra nécessairement plus attractive aux investisseurs et sera mieux valorisée”, souligne-t-il. En clair, plus le dividende versé est élevé, plus la société attire d’investisseurs et plus elle vaut cher, selon un principe de réciprocité essentiel aux mécanismes de financement des entreprises et à condition, bien évidemment, que cet élément de valorisation soit assorti de performances économiques bien réelles. De résultats quantifiables qui, à leur tour, ne peuvent découler que d’une capacité à investir et donc, à financer la croissance.

De quoi reconsidérer l’opposition supposée investissement – dividendes pour y voir non plus deux antagonismes dont l’un s’exercerait nécessairement au détriment de l’autre, mais deux aspects d’une même nécessité. Celle qui implique pour toute entreprise de créer de la valeur, directe ou indirecte. Que ce soit en saisissant les opportunités de croissance lorsque celles-ci viennent à se profiler ou en travaillant son attractivité boursière.

Par Caroline Castets

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