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Réglementation, exigences de la clientèle, politique RSE : tout pousse les compagnies aériennes à accélérer leur transition écologique. Carburants plus verts, itinéraires raccourcis, services revus à l’aune du développement durable… C’est sur l’ensemble de l’activité que les compagnies aériennes travaillent, y compris la branche de l’aviation d’affaires. Dotée d’appareils plus petits, elle est même en première ligne pour bénéficier des innovations technologiques. Mais si le plan de vol de cette transition écologique n’est pas encore défini, une certitude se dessine : la mutation ne sera pas sans coût pour la clientèle.
Face à la montée des pressions institutionnelles et aux évolutions comportementales de leur clientèle, les compagnies aériennes d’affaires ont pris ces dernières années un certain nombre de mesures en faveur de l’environnement. “Le secteur du transport aérien mondial s’est collectivement engagé à atteindre l’objectif de zéro émission nette de carbone en 2050”, rappelle Isabelle Clerc, CEO d’Aeroaffaires, une société de courtage aérien. Pour y parvenir, plusieurs leviers existent : l’usage de carburants durables, l’amélioration de la performance environnementale des avions, le renouvellement des flottes d’appareils, ou encore l’optimisation des consommations, des infrastructures et de la chaîne de traitement de l’avion au sol.
En France, l’aviation générale et d’affaires représente 4,5 % des émissions totales du secteur de l’aviation, dont la moitié liée au transport à la demande (réalisé pour l’essentiel en jets).
“Compte tenu de leurs caractéristiques techniques de poids et de taille plus réduits, les jets privés devraient être les premiers à bénéficier des efforts entrepris en matière de recherche, et de la technologie pour développer des avions plus respectueux de l’environnement (électricité, hydrogène)”, précise encore Isabelle Clerc. Une analyse d’autant plus pertinente qu’en France, d’après la Fédération nationale de l’aviation et de ses métiers (Fnam), l’aviation générale et d’affaires représente environ 4,5 % des émissions totales du secteur de l’aviation, dont près de la moitié liée au transport à la demande, réalisé pour l’essentiel en jets.
Des avions de nouvelle génération
Du côté de La Compagnie, la flotte d’appareils a été renouvelée en juin 2019 avec l’acquisition de deux Airbus A321neo neufs. Cet avion nouvelle génération est plus performant, moins bruyant et plus respectueux de l’environnement, car il consomme 30 % de carburant en moins que les précédents modèles de La Compagnie. La société aérienne tâche également d’atteindre de bons taux de remplissage afin d’amortir les émissions de CO2 par passager.
Enfin, et surtout, la plupart des compagnies aériennes comptent sur la démocratisation des nouveaux carburants durables destinés à l’aviation. “La transition vers une énergie propre est en cours dans le monde entier, et elle est inévitable. C’est un enjeu compliqué pour tous, et trouver une solution le plus tôt sera le mieux pour tout le monde. Nous travaillons actuellement sur la biomasse, l’énergie verte, solaire et nucléaire pour produire des e-carburants. Il faut aujourd’hui développer les technologies d’énergies décarbonées, nous sommes encore loin de pouvoir voler à l’hydrogène”, relève Christian Vernet, CEO de La Compagnie.
“Les SAF permettent de réduire de 80 % les émissions de CO2 par rapport aux carburants fossiles. Cette solution semble s’imposer comme la plus évidente.”
Dans l’immédiat, l’enjeu pour les compagnies aériennes est d’intégrer, pour faire baisser leurs émissions, un maximum de carburants d’aviation durables (SAF, pour Sustainable Aviation Fuels), produits à partir de ressources et de procédés plus durables que les hydrocarbures, telles que les huiles usagées d’origines organiques (huile de cuisine, par exemple). “Les SAF permettent de réduire de près de 80 % les émissions de CO2 par rapport aux carburants fossiles. Toutefois, ces carburants ont la caractéristique d’être significativement plus coûteux que les carburants fossiles (de trois, voire six fois plus)”, souligne Isabelle Clerc. Mais la clientèle de l’aviation d’affaires étant “moins sensible au prix, cette solution semble s’imposer comme la plus évidente et efficace pour permettre une transition écologique rapide de l’aviation d’affaires”. La CEO d’Aeroaffaires souhaite ardemment que “la France soit précurseur dans le développement de ces filières de carburants durables, et se dote très rapidement d’une trajectoire de déploiement”.
Des carburants bien sourcés
“Notre bilan carbone total est directement lié, à 90 %, au carburant d’aviation, c’est le nerf de la guerre”, confie Vincent Etchebehere, directeur du développement durable et des nouvelles mobilités d’Air France. Le groupe Air France-KLM est le premier consommateur de SAF au monde. “En 2023, nous avons utilisé 16 % de tout le SAF produit cette année-là, alors que nous ne représentons que 3 % de la consommation totale de carburant d’aviation. Nous avons incorporé 1 % de SAF dans nos avions en 2023, nous visons les 10 % en 2030”, assure Vincent Etchebehere.
Pour que l’impact positif sur l’environnement soit réel, les compagnies doivent également s’assurer que les SAF qu’elles utilisent soient bien sourcés, qu’ils n’impliquent pas une hausse de la déforestation et qu’ils proviennent de cultures qui n’entrent pas en concurrence avec l’usage alimentaire. “Nous visons aussi zéro émission pour les opérations au sol d’ici à 2030. Nous restons fidèles à nos engagements, même s’il n’est vraiment pas facile de décarboner l’industrie aéronautique”, reconnaît un porte-parole de KLM.
“L’efficacité du routing est un axe à envisager : revoir des itinéraires plus directs impliquant moins de temps de vol optimiserait la consommation de carburant”
“L’efficacité du routing est aussi un axe à envisager : revoir des itinéraires plus directs impliquant moins de temps de vol optimiserait la consommation globale de carburant”, suggère également Christian Vernet. Un enjeu qui importe également à KLM : “pour rendre les vols plus efficaces, et donc utiliser moins de carburant, nous travaillons avec les organisations de contrôle du trafic aérien à travers l’Europe pour emprunter les routes les plus directes vers nos destinations”.
La carte de l’intermodalité
Plusieurs mesures réglementaires imposent aussi de nouvelles normes aux compagnies. “Nous soutenons l’accord européen de l’UE, ReFuelEU, qui entrera en vigueur à partir de janvier 2025 avec 2 % de SAF pour tous les carburants livrés aux aéroports européens, une proportion qui passera à 6 % en 2030”, précise la compagnie néerlandaise. Néanmoins, celle-ci préférerait qu’un tel accord s’étende à l’échelle mondiale afin de garantir des conditions de concurrence équitables entre tous les acteurs du secteur aérien.
Les compagnies aériennes tâchent également de faire preuve de davantage de transparence vis-à-vis de leurs clients. Les outils de réservation, par exemple, offrent désormais la possibilité de calculer directement l’empreinte carbone de son voyage. Des taxes plus élevées sur les voyages d’affaires pour financer l’achat de SAF commencent également à apparaître.
Pour Air France, c’est l’intermodalité qui va primer dans les années à venir. Autrement dit, les compagnies aériennes vont devoir proposer des parcours combinant divers modes de transport, comme le train ou le bus, pour permettre à leurs clients d’alléger leur bilan carbone. “63 % des acheteurs de voyages d’affaires sélectionnent actuellement, ou prévoient de sélectionner leurs fournisseurs sur la base de critères de durabilité”, avance Delphine Millot, Senior Vice President Sustainability chez GBTA. L’organisation rassemblant tous les acteurs du secteur du voyage d’affaires milite également pour une plus grande clarté des autorités et décideurs politiques sur la mesure des émissions carbone. “L’uniformisation des règles du jeu, et l’établissement de normes et de méthodologies claires pour le calcul des émissions provenant des voyages d’affaires, sont des conditions préalables à la décarbonation des voyages d’affaires”, complète Delphine Millot.
Marie Frumholtz
Pour établir leur bilan carbone, les organisations doivent estimer les émissions de gaz à effet de serre (GES) issues de leur activité. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) propose un découpage en trois “scopes” (périmètres) qui permet de catégoriser les différentes sources d’émissions de CO2. Le scope 1 correspond aux émissions de gaz à effet de serre (GES) directement émises par les activités de l’entreprise, notamment celles issues de combustibles fossiles. Le scope 2 englobe les émissions indirectes résultant de la production d’énergie achetée et consommée par l’organisation. Le scope 3, lui, inclut les émissions de GES indirectes qui échappent au contrôle direct de l’entreprise, englobant souvent les activités en amont et en aval de la chaîne de valeur. Depuis 2023, le scope 3 des entreprises de plus de 500 salariés doit prendre en compte les déplacements professionnels des collaborateurs.
L’Ademe a mis en ligne un comparateur qui, pour une distance donnée, indique la quantité équivalente de CO2 (CO2e) émise en fonction du mode de transport choisi (train, bus, moto, voiture thermique, avion, etc.). De son côté, Air France, dans son logiciel de réservation de voyages d’affaires, indique désormais pour chaque trajet la quantité d’émissions de CO2.Pour compenser celles de leurs trajets en avion, les entreprises peuvent “contractualiser avec Air France-KLM le rachat de tout ou partie d’équivalent de carburants durables (SAF), et de cette manière déduire leurs émissions de leur propre bilan carbone”, explique Vincent Etchebehere, directeur du développement durable et des nouvelles mobilités d’Air France. Une solution gagnant-gagnant.
Après le carburant, les compagnies aériennes d’affaires essaient avant tout d’agir sur les sources d’émissions indirectes. La restauration à bord, par exemple, en fait partie. Air France privilégie ainsi les produits de saison et l’approvisionnement en circuits courts. En matière de gaspillage, l’heure est à l’optimisation des stocks, grâce notamment à la possibilité de précommander son repas. Par ailleurs, “entre 2018 et 2023, nous avons réduit de 80 % les plastiques à usage unique à bord, notre ambition est d’atteindre les 100 %”, ajoute Vincent Etchebehere.
À La Compagnie, un certain nombre de mesures ont également été déployées à bord des appareils : les repas sont servis dans de la vaisselle réutilisable, les menus sont élaborés par des chefs engagés qui privilégient les produits de saison et du terroir, et la presse est accessible uniquement en version numérique, aucun exemplaire papier n’est disponible.
Des mesures destinées à compenser les émissions sont également proposées aux clients professionnels. Aeroaffaires est ainsi engagé auprès de la société EcoTree, dont la mission principale est de préserver la biodiversité et les écosystèmes forestiers. La société de courtage aérien soutient également des projets de pollinisation au sein de la forêt de Châtelain (Mayenne), et de protection de la forêt primaire, au Pérou. Autant d’initiatives qui permettent à ses clients de compenser une partie des émissions carbone dues à leur voyage.
- 9 % des nuitées et journées du tourisme en France
- 17 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur du tourisme.
Source : Ademe, ‘Bilan des émissions de gaz à effet de serre du secteur du tourisme en France’, 2021